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Nullité de procédure; quand la presse s'emmêle les pinceaux
26 septembre 2025

Le débat public s’éloigne de plus en plus de ce qu’il devrait être : une confrontation d’arguments fondés sur des informations ayant pour objectif de proposer des idées. On n’informe plus, ou de moins en moins : on cherche à faire des parts de marché, dont les résultats sont affichés sur les réseaux sociaux dans une sorte de guerre quotidienne du médiocre. Moi qui ai grandi avec un père journaliste politique, je suis vite agacée par ces méthodes.
Récemment, un article du Monde titrait : « le trio d’avocats spécialisé dans la criminalité organisée qui exaspère la magistrature. (…) Thomas Bidnic, Raphael Chiche et Amar Bouaou (..) : leur marque de

fabrique ? Pas le fond des dossiers mais les nullités de procédure pénale pour faire libérer leurs clients ».
J’ai hésité la lire la suite tellement cette accroche était déjà mensongère et orientée. Mais j’ai persévéré.


« Le fond du dossier (souvent accablant) de leur client ne les intéresse pas beaucoup. Ils cherchent d’abord les nullités de procédure, les erreurs d’enquête. Ils traquent les délais et multiplient les recours. Leurs contempteurs disent qu’ils cherchent la petite bête qui peut rapporter gros au mépris de l’esprit du droit ». Il faut arriver en fin d’article pour lire ce qui aurait du être expliqué depuis le début : « le côté positif c’est qu’ils nous imposent une vraie exigence en testant la solidité de notre procédure. Ils nous obligent à être
meilleurs »
, selon une vice présidente de tribunal souhaitant garder l’anonymat.
Un réquisitoire contre ces trois avocats qui ont pourtant été approchés par les deux journalistes, plus intéressés par le nom de leurs clients, les lunettes rondes et le petit déjeuner d’un de mes confrères que par l’essence même des nullités de procédure.
Je me suis demandée comment diable pouvait-on faire un article sur les nullités de procédure pénale sans expliquer ce qu’elles sont et à quoi elles servent ? Et surtout, qui les prononcent et remettent en liberté les suspects dont les droits ont été violés ?


Vous voyez, chers lecteurs, je n’ai pas de souci à ce que l’on évoque cette question des nullités de procédure pénale et qu’on s’interroge. Je sais d’ailleurs que c’est une vraie question chez certains syndicats de policiers. Mais pas chez tous, car nombreux sont ceux qui, comme cette vice présidente de tribunal interrogée anonymement par Le Monde, pensent que si des procédures pénales sont annulées c’est qu’ils ont mal fait leur travail et n’ont pas respecté le cadre qui leur est imposé par la loi de la procédure.
Parce que c’est ça le coeur du sujet : si des avocats soulèvent des nullités de procédure, c’est que d’une part, la procédure pénale les a prévues, et que d’autre part, un enquêteur a violé cette procédure. Or, les avocats ne sont pas la loi et n’enquêtent pas. Ils n’interviennent que pour dire : « attention, la procédure n’a pas été respectée, il faut en tirer les conséquences ». Charge ensuite aux magistrats de sanctionner ce non respect de la procédure.

Et c’est étonnant que l’immense majorité des témoins de cet article ne fassent pas état de cette réalité et ne se remettent pas en question un seul instant.  Je passe sur le sous entendu pitoyable faisant un lien entre mes confrères et la lutte, perdue, contre le trafic de stupéfiants.
La procédure pénale est nécessairement encadrée car on ne peut pas laisser les policiers faire ce qu’ils veulent. Cela me parait être une évidence. Et c’est l’essence même de l’existence de ces nullités de procédure.

Je prends un exemple simple : lorsqu’une personne est placée en garde à vue, elle a droit d’être assistée par un avocat. C’est un droit fondamental (articles 6 de la CEDH et 63-3-1 du code de procédure pénale notamment). Pour que ce droit soit effectif, il faut bien contraindre les policiers à contacter un avocat et ce, dans un délai précis. Sinon, ils ne le feront pas, ou le feront trop tard. Voilà pourquoi le code de procédure pénale et la jurisprudence ont encadré la mise en place de ce droit. Et si les policiers violent cette loi, ils risquent de voir la garde à vue du suspect annulée. Si vous voulez avoir des droits fondamentaux dont l’irrespect n’entraine aucune sanction, ce n’est pas en démocratie qu’il faut vouloir vivre.
Lorsqu’un avocat récupère un dossier, il regarde évidemment en premier la procédure. C’est une pure logique : si la procédure est nulle, il ne plaidera pas le fond du dossier. Mais c’est surtout le code de procédure pénale (article 385) qui l’impose puisque les « nullités de procédure doivent être soulevées avant tout débat au fond », ce que les journalistes auraient pu écrire dans leur article s’ils avaient voulu informer, et non attiser la colère et l’incompréhension de leurs lecteurs. Ce n’est donc pas un choix des avocats de
ne pas regarder le fond du dossier mais une obligation légale qui pèse sur leur tête. Ni plus, ni moins.


Témoignages majoritairement anonymes, liste des dangereux voyous remis en liberté... Ce n’est pas de l’information. Ou si cela en est, elle est volontairement incomplète et orientée. Et l’on ne peut pas s’en satisfaire à l’heure où les avocats sont de plus en plus ciblés, menacés et harcelés en raison du métier qu’ils font et des clients qu’ils défendent.
Beaucoup veulent aujourd’hui faire porter aux avocats une responsabilité dans le trafic de stupéfiants qu’ils n’ont évidemment pas. D’autres voudraient même limiter leurs honoraires pour faire en sorte qu’ils ne soulèvent plus les nullités, ou qu’ils le fassent mal. Comme si des avocats moins payés feront nécessairement du mauvais travail. On marche sur la tête dans ce concours permanent de celui qui dira le plus d’absurdités.


Il existe pourtant quelques solutions assez simples avant d’accuser les avocats de faire leur travail : former mieux les policiers à la procédure pénale, accorder des moyens à une justice clochardisée et surtout, assumer ses erreurs quand une politique ne fonctionne pas.

Mais ça ne rapporte pas d’électeurs à deux ans des élections présidentielles. Il est peut être là le souci...

Il s'appelle Ben
27 septembre 2023

Il s’appelle Ben. Il a 41 ans. Et vient d’être condamné pour la 28ème fois.


Ben est entré dans ma vie d’avocate il y a 6 mois. Un jour que j’arrivais à mon bureau en fin de matinée
après une audience difficile, chargée de mon sac à main énorme, de mon dossier et de ma robe, j’ai trouvé sa petite lettre sur ma table de réunion.
Une lettre écrite avec un soin particulier, bien rédigée et assez courte : « Maître, j’ai besoin de vous pour ma
prochaine condamnation ». Signé : BEN.

Son auteur m’était inconnu, et aucun de mes clients ne m’avait prévenue qu’un certain Ben, incarcéré en région parisienne, allait me contacter.
Je reçois en effet régulièrement des lettres de désignation de détenus. Mais dans l’immense majorité des cas, la famille, les proches, ou un codétenu m’ont déjà contactée pour me prévenir. Je sais donc qui est qui, qui me vient de qui, et pour quelle raison le détenu en question souhaite me désigner comme son avocate.


Je ne connaissais donc pas Ben.
Alors ni une ni deux, j’ai demandé un permis de communiquer et j’ai pris rendez vous au parloir de la prison. Arrivée à la maison d’arrêt, il faut montrer patte blanche, déposer son téléphone. Il ne faut rien rentrer de dangereux ni d’interdit. Passer les portes, sonner, attendre que les surveillants pénitentiaires ouvrent les grilles, montrer son pass, attendre, passer les portes, attendre, montrer son pass… Puis se présenter au parloir et s’installer dans un box miteux.


« Détenu Ben ! Avocate : box 3 ! ».


Voilà donc Ben qui toque à la porte du box 3 dans lequel je l’attends en bouquinant. Il entre. Courtois, il me
serre la main et se présente. Il a du mal à me regarder dans les yeux : je le soupçonne d’avoir honte de me
rencontrer dans cet endroit sale et surtout, qui lui fait réaliser qu’il est un délinquant et qu’il a violé la loi. Ce
qui est  objectivement le cas puisqu’il exécute deux condamnations pour vol.


Ben a 41 ans. Quelques mois de plus que moi. Nous sommes donc presque jumeaux, alors qu’il ressemble à
un vieillard. Ben est un voleur. Il vole sans violence depuis des années : un téléphone par ci, un vélo par là. Il
a déjà été condamné 27 fois. Oui oui, 27 fois.
Il s’excuse, se désole et sait qu’il va être condamné une 28ème fois.


Ben est né en France dans une famille très nombreuse et peu fortunée. Il a redoublé son CP et n’a pas eu son CAP. Vers l’âge de 15 ans, il a commencé à voler « vite fait ». Et surtout, à prendre de la drogue et à boire de l’alcool. Il a tout pris, tout bu, tout testé. Cela se voit tellement sur son visage que je n’ai aucune raison de douter de cette vie de débauche. Une vie faite de petits boulots, de séjours en prison, et puis un matin, la rue. Sous un pont, sous un arbre, avec pour seule amie une bouteille de rosé.
Ben aime le rosé. Et Ben fait de la course à pieds en prison.
Nous avons donc un semblant de point commun et je lance la discussion sur le semi marathon. Ben me parle de sa vie, de sa mère, de ses frères et sœurs. Et de ses exploits sportifs en promenade. Mais jamais de son père.


En 2018, Ben, complètement alcoolisé, a été tabassé par deux hommes en pleine nuit : 4 jours de coma, lourd traumatisme crânien. Il a fuit l’hôpital quelques jours après son réveil et s’est réfugié chez sa mère, placée sous tutelle, qui vit dans un petit appartement sale et vétuste.
Ben ne commet plus aucune infraction jusqu’à cet automne 2022 où il pénètre la nuit dans plusieurs écoles pour y voler des ordinateurs, une tablette et des clés USB. Il est alcoolisé et termine en garde à vue. Il reconnait immédiatement les faits.

Placé sous curatelle renforcée à la suite de son agression, il vit à l’époque dans un lieu spécialisé pour les personnes âgées et les handicapés. Il a du mal à s’y faire, il se sent nul, inutile. Il refuse de faire face à son état. Les autres détenus le prennent pour un fou, et moi, j’ai peur des autres détenus qui le prennent pour un illuminé de la course à pieds.


Ben n’a pas non plus toute sa tête : tous les experts qui l’ont vu l’ont écrit dans leurs rapports. Rapports que
j’ai lus après ma première rencontre avec lui. Ben est malade et de plus, il a une « intelligence dans la

moyenne très basse de la population », comme écrit dans son dossier. Ben n’a pas d’enfant, pas
d’amoureuse, pas même d’ex amoureuse. Il ne sait pas ce qu’est l’amour.

Ben est alcoolique, dépressif, il est soigné pour les suites d’un traumatisme crânien sévère, il est sous cura-
telle renforcée. Il est évidemment fragile et faible : que fait donc Ben en prison ? Pourquoi Ben n’est-il pas

hospitalisé ? Bonnes questions.

Mais Ben n’a plus rien qui l’attend dehors : pas d’appartement, pas de boulot, pas d’amis sérieux qui pour-
raient l’aider. Je le sais, je le lui dis. Ben n’a que son frère, sa curatrice, et maintenant moi.

Ben nous a fait tous les trois monter dans sa barque et vogue la galère !
Alors nous parlons de l’avenir. De sa sortie. Parce qu’un jour, Ben sortira de prison. Comment voit-il son
avenir ? Ben dit que tout cela s’arrêtera « quand il sera mort ». Et que d’ailleurs, « c’est peut être surement la meilleure solution pour tout le monde ».

Je sors de ce nouveau parloir ravagée, les larmes aux yeux. Je suis en colère contre la vie, et aussi contre la vie de Ben.


Vous savez, j’ai tout de suite aimé Ben. J'ai immédiatement compris qu’il avait besoin d’une main tendue, d’une main qui ne le jugerait pas. D’une main qui pourrait lui dire les choses telles qu’elles sont. Qui serait là quoi qu’il arrive à l’avenir. C’est ce que j’aime le plus dans ce métier : réussir à avancer main dans la main, sans jugement. Face à la justice, mais aussi à l’injustice. Aider l’autre à se battre, même quand il n’en a plus la force.
Alors j’ai dit à Ben qu’il n’allait évidemment pas mourir et qu’il allait trouver le courage d’avancer. Il arrive
bien à courir 10km par jour lors de ses promenades en prison ! Parce que finalement, dans la vie, on n’a pas
trop le choix que de faire un pas après l’autre. Et à la fin, ça fait notre propre chemin.
L’espace de quelques secondes, j’ai vu de l’espoir dans ses yeux. Et il a vu l’espoir dans les miens.


Ben a été condamné pour la 28ème fois. Il sera libéré au début de l’année 2024. Si personne ne lui trouve un logement, ni ne l’aide dans sa réinsertion, il sortira de prison un matin, aux aurores, très loin de Paris. Sans argent, sans téléphone, sans personne pour l’attendre. Seul. Comme il l’est depuis 41 ans.

Et je devrai défendre Ben pour une probable 29ème condamnation.


NB : l’ensemble de ces informations ont été rendues publiques lors de l’audience correctionnelle qui a donné lieu à la condamnation de Ben.

Tout le monde s'en fiche
13 septembre 2023

La première chose que l’on apprend à l’école du Barreau est que l’avocat est celui qui porte la voix de son
client. Le grand public ne veut souvent pas l’entendre mais en réalité, lorsque l’avocat plaide au quotidien, il ne fait pas de politique, ne raconte pas sa vie, ne polémique pas sur la dernière affaire médiatico-judiciaire : il parle pour celui qui ne peut pas le faire. Qui ne comprend pas, qui ne sait pas s’exprimer correctement, ou tout simplement qui ne parle pas notre langue.
Il parle de son client, pour son client. C’est ça, être avocat.

Cela semble simple mais c’est immensément difficile, et cela nécessite beaucoup de tolérance, de compréhen-
sion, d’écoute. Cela s’apprend avec le temps.

Le métier d’avocat est un métier de l’autre, pour l’autre. Ce sont les intérêts de nos clients qui passent avant les nôtres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous portons une robe : en la mettant, nous devenons le défenseur de notre client. Nous nous mettons en retrait pour lui, pour sa défense.

Nous l’assistons lui, nous le défendons lui, nous le conseillons lui. Dans ses intérêts à lui.
Et nous le protégeons autant que possible contre l’arbitraire.
Nous ne faisons qu’un, le temps d’un dossier.


J’aime ainsi dire à mes clients qu’eux et moi devons être une équipe. Une équipe qui se fait confiance, qui se
parle, qui se dit les choses. Une équipe avec ses individualités, ses personnalités, mais une équipe. Une
équipe de la défense. Une équipe qui gagne parfois, et qui perd aussi.
La plupart du temps, nous plaidons pour des inconnus, peu fortunés, dans des salles d’audience vides, à des
heures indues et dans une indifférence quasi générale. Il n’y pas de journalistes pour faire notre éloge, pas de
public pour nous regarder avec des yeux admiratifs. Et c’est très bien ainsi.
En tous cas, cette solitude et cet anonymat me conviennent parfaitement.
Et ce ne sont pas des valises de billets qui nous sont déposées dans nos bureaux par des voyous portant des Rolex, mais des familles qui se sont sont cotisées et mobilisées pour payer, petit à petit, le défenseur qui est un rempart contre l’injustice et une porte vers la liberté.

L’avocat pénaliste est souvent seul. Seul contre la justice et son injustice. Seul contre la procédure. Seul
contre les conditions indignes de détention. Et lorsqu’il n’est pas dans son bureau à travailler ses dossiers, ni
dans un palais de justice à attendre son tour, il est dans des parloirs miteux de prison, à prendre la misère
humaine en pleine figure.


Je vous écris cet article depuis le parloir de la maison d’arrêt du Val d’Oise en attendant mon client : le bleu
des portes est indescriptible et il me donne la nausée. La table sur laquelle j’ai posé mon ordinateur colle, et
j’ai peur que ce qui s’est accroché à mes coudes ne s’enlève plus, malgré la douche que je prendrai en
rentrant dans le confort de mon appartement. Les sièges sont tâchés par je ne sais quoi et je préfère m’assoir
tout au bord de ma chaise pour éviter d’abîmer mon pantalon. Ça sent mauvais et il fait chaud. Ça hurle et ça
tape sur les portes. Mais c’est cela être avocat. Et c’est ce que nous aimons. Le contact avec cette réalité que personne ne veut voir. Que personne ne veut entendre.


J’attends donc mon client dans ces 3m2 sordides. Un homme atteint de troubles psychiatriques. Encore un. Dans une grande précarité, il est presque content d’être en prison pour avoir de quoi manger et ne pas être seul. Il est ici pour des vols et sera, une nouvelle fois, jugé la semaine prochaine.

Il faudra porter sa voix, celle de la pauvreté, de l’addiction, de ce vide dans lequel il sombre depuis des années, sans arriver à s’en sortir. Il sera condamné, nous le savons tous les deux, mais je veux une condamnation qui l’aide et qui lui redonne l’envie de vivre. L’envie d’avoir un avenir.
Il fait partie de ces clients auxquels je pense souvent car, très fragilisé par une vie brisée, faite de précarité et
d’alcoolisme, je crains pour sa vie. Ici, entre ces murs.
Les prisons sont en réalité pleine de ces détenus là. Des gens brisés qui arrivent en prison et en sortent plus brisés encore. Ils ne sont pas soignés correctement, vivent dans des cellules sales, insalubres, surchargées.
Ce sont eux qui font le quotidien de l’immense majorité des avocats et qui remplissent nos salles d’audience.
L’humanité la plus cassée, la plus pauvre, la plus défavorisée, la plus sensible.


Tout le monde s’en fiche.


Parler d’eux avec un peu d’humanité ne rapporte ni électeurs, ni téléspectateurs. Alors on fait comme s’ils
n’existaient pas. En prison, il y a 6 fois plus de suicides qu’ailleurs en France.


Tout le monde s’en fiche.


En prison, 25% des détenus attendent d’être jugés et sont présumés innocents.


Tout le monde s’en fiche.


La justice incarcère à tour de bras, quand une partie de l’opinion publique hurle au laxisme.


Tout le monde s’en fiche.


Sauf les avocats.

Le « problème de la police c’est la justice » : vraiment ?
4 septembre 2023

J’en ai vu des commissariats de police pourris. J’en ai entendu (et défendu) des policiers résignés et au bout du rouleau. La police vit aujourd’hui une crise et on peut comprendre sa colère : des conditions de travail dégradées, des salaires minables, des policiers qui ne comprennent plus les magistrats et les décisions judiciaires qui peuvent être prises. Une formation insuffisante (voir inexistante notamment en droit pénal et en procédure pénale) et surtout, des syndicats qui font leur loi et mènent le ministre de l’intérieur par le bout du nez.
Beaucoup de policiers à qui je parle s’inquiètent de l’image qui est donnée d’eux par certains habitués des médias. Des syndicats qui font de la politique avant tout et qui sont à la recherche d’adhérents car plus d’adhérents, c’est plus de pouvoir dans les négociations. Certains de leurs responsables font le buzz sur les plateaux télé, alimentent leurs réseaux sociaux de petites phrases toutes faites, et piétinent allègrement la présomption d’innocence quand le suspect n’est pas un policier.
Alors que l’on pourrait s’attendre à ce que ces représentants rappellent systématiquement les règles de droit dans tous les dossiers qu’ils commentent (et pas seulement dans les dossiers dans lesquels un des leurs est mis en cause) et qu’ils considèrent tous les justiciables de la même façon, ils sont devenus les VRP de la haine et de l’allumage de feu : « présomption de culpabilité », « laxisme », « avocats de voyous », « nuisibles », « guerre civile »... Tout y passe, malheureusement. Nous assistons ces derniers mois, voir ces dernières années, à une inquiétante montée de la violence dans la police. Je parle des violences verbales dans les propos et les prises de positions publiques de certains, mais aussi des violences physiques, puisque de plus en plus d’affaires mettant en cause des policiers sont mises au jour. Du harcèlement, des propos racistes, des violences volontaires dans les cellules de garde à vue, et évidemment, la question de l’usage illégal des armes à feu.
Parce que la police, comme le reste de la population, n’est pas épargnée par la montée de la violence dans ses rangs. Et c’est bien normal, les policiers sont des hommes et des femmes qui exercent, il faut le dire, un métier difficile. Ils prennent la violence et la détresse humaine en pleine figure et sont soumis à une pression des résultats. Ils sont souvent menacés, outragés, violentés et cela n’est évidemment pas normal et doit être sanctionné. Sauf que les policiers ne sont pas des gens tout à fait comme vous et moi.
Le policier, et c’est d’ailleurs le sens de la loi pénale, doit être un peu plus irréprochable que moi. Sa parole vaut plus que la mienne. Il a le droit de me contrôler, de m’interpeller, de me convoquer, de me placer en garde à vue (sous la responsabilité d’un magistrat) et surtout, il est armé et a droit, dans certaines conditions encadrées par la loi, de se servir de son arme contre moi.

Le policier n’est pas un professionnel comme un autre. On peut légitimement attendre de lui qu’il respecte la loi à la lettre, car ses manquements peuvent avoir des conséquences dramatiques : un faux procès verbal peut entrainer une condamnation indue ou une incarcération injuste, une utilisation illégale de son arme un décès. On doit pouvoir attendre des policiers un peu plus que ce que l’on attend du justiciable lambda. Et c’est parce que les policiers sont soumis à ces règles là qu’ils sont, dans leur grande majorité, respectés et appréciés de la population française. Les derniers sondages sont clairs à ce sujet.

Et pour ma part, je ne déteste pas la police car non, « tout le monde ne déteste pas la police ».
Mais je ne vous cache pas que les évènements des derniers mois m’inquiètent. En tant qu’avocate, évidemment, mais aussi en tant que citoyenne d’une démocratie dont les représentants de police les plus actifs comprennent de moins en moins ce qu’est un état de droit.

Il y a quelques mois, des syndicats de policiers ont organisé une manifestation devant l’Assemblée Nationale aux cris de « le problème de la police, c’est la justice ». Beaucoup de politiques, de tous bords, s’étaient joints à cette inquiétante mascarade mise scène par des syndicats très vindicatifs.

Quelques semaines plus tard, des policiers ont manifesté devant le Palais de Justice de Paris pour dénoncer la mise en examen d’un de leurs collègues, suspecté d’homicide volontaire après avoir tiré sur un conducteur en fuite et tué le passager du véhicule.

Au début de l’été, un syndicat de policiers, très présent sur les réseaux sociaux et à la télévision, a publié un communiqué de presse d’une violence incroyable dans lequel il menace clairement le gouvernement, et indique être dorénavant en « résistance ».
Quelques jours plus tard, des policiers de la France entière se sont mis en arrêt maladie, non pas parce qu’ils étaient malades, mais parce qu’un de leurs collègues avait été placé en détention provisoire. Sans avoir accès au dossier de l’instruction qui est secret, dont presque aucun élément n’avait fuité dans la presse à ce moment là, et sans avoir ne serait-ce que lu l’ordonnance de placement en détention provisoire.
Fin juillet, certains syndicats ont réclamé à leur ministre que les fonctionnaires de police ne puissent plus être placés en détention provisoire du tout. Juste parce qu’ils sont policiers. Selon eux, ceux-ci seraient nécessairement des gens bien; ils ne seraient pas capables de se concerter, ni de mentir, encore moins de faire pression sur les victimes ou sur leurs collègues pour qu’ils témoignent en leur faveur. Juste parce qu’ils sont policiers, ils seraient incapables de faire ce que font beaucoup d’autres suspects qui ne le sont pas.
Lunaire.
Dénoncer une prétendue impunité d’un côté pour les « voyous », mais en demander une absolue pour les siens. Tout en demandant à ce que la loi soit respectée par tous. C’est un drôle de raisonnement juridique… Ou un combat politique, non plus contre la justice, ce qui était déjà un souci en soi, mais contre l’état de droit.
Ce qui est alarmant aujourd’hui c’est que des syndicats estiment, en toute transparence, que des policiers, suspectés mais présumés innocents, ne devraient jamais être placés en détention provisoire, contrairement aux autres mis en examen dans d’autres dossiers (ceux qu’ils appellent les « crapules » et les « voyous »).
Juste parce qu’ils sont policiers. Alors pourtant même qu’eux, doivent être irréprochables car ils ont des pouvoirs que nous, nous n’avons pas. Et que leurs comportements peuvent avoir des conséquences souvent irréparables.
C’est pourtant le fonctionnement même d’un état de droit : contrôler ceux qui ont un pouvoir exorbitant pour ne pas qu’ils en abusent. Et ce contrôle existe, ce qui semble donc déplaire à certains syndicats.


Il faudra être vigilants.

Pardon de défendre !
28 août 2023

« En France, la peine de prison à perpétuité n’est jamais perpétuelle. L’homme suspecté d’avoir
violé une femme avec un balai à Cherbourg ressortira un jour. Dans une 20aine d’années, lorsqu’il sera libéré de prison, qui souhaitera être son voisin ? » (article du Figaro du 15 août 2023).


Soulignant l’absurdité et la fausseté d’un tel commentaire, voici un petit florilège des charmantes
réponses qui m’ont été faites :
« Si ça dépendait de moi, je vous obligerais à l’héberger dans une chambre chez vous à sa sortie ».
« D’où vient cette panique morale Julia ? Est ce vous la juge qui avez laissé ce fils de putain en
liberté ? ».
« Une femme est violée et empalée mais la blanche privilégiée n’a que ça à dire ».
« Ne soyez pas naïfs sur le nombre d’avocates prétendument ultra gauchistes, elles ne font que
tapiner auprès de leur clientèle prolifique ».
« Putain, ayez la décence de penser aux victimes d’abord, vous êtes pitoyable ».
« Encore une qui est du côté des criminels. Des crapules. Elle aime sentir la puanteur de ces
barbares ».
Mon tort ? Avoir écrit, en commentaire de cet article dans un journal auquel je suis abonnée et dans lequel mon père a été journaliste politique durant des années : « On marche sur la tête dans ce pays… L’information judiciaire ne fait que commencer et on en est déjà à parler d’exécution de peine avec un représentant d’un institut qui n’a jamais assisté à une audience devant le juge de l’application des peines… Mais où va-t-on mon dieu ? ».
Pardon de défendre des évidences procédurales.
Pardon de défendre nos règles de droit.
Pardon de défendre le principe des enquêtes.
Pardon de défendre l’existence même de la justice.
D’abord, cet homme, mis en examen et placé en détention provisoire, n’a pas encore été jugé. Ensuite, nous ne savons pas à quelle peine de réclusion criminelle il sera condamné. Enfin et surtout, s’il est condamné à la perpétuité avec une période de sureté, il n’y a absolument
aucune certitude qu’il puisse un jour sortir de prison.
Pardon, donc, de défendre.
Si les français ont à coeur de savoir comment la justice est rendue, et j’en suis ravie, encore faut-il
que nous acceptions tous le principe du débat : entendre ce que nous n’avons pas envie d’entendre et partir du principe que nous pouvons infléchir nos positions sur cette justice tant décriée dans une partie de l’opinion publique. Voir pire : accepter de se tromper et de ne pas tout savoir sur tout.. J’irai même jusqu’à dire qu’il faudrait éviter de parler de ce que l’on ne connait pas, mais je crains que le combat à ce sujet soit perdu d’avance dans ce monde ultra connecté de l’information permanente.
Il faut également respecter les règles de droit et notamment celle du droit à un procès équitable, du respect rigoureux de la présomption d’innocence et de l’effectivité des droits de la défense. On ne peut pas parler ni débattre de la justice dans la négation permanente de ce qui fait qu’elle existe. Oui il y a des affaires qui sont bien jugées et pour lesquelles la justice fait un travail remarquable. Oui, il y a aussi des affaires qui sont mal jugées et des dossiers dans lesquels la justice est mal rendue. Il y a des condamnés qui acceptent leurs condamnations et qui ne recommencent jamais. Il y a des victimes satisfaites des condamnations prononcées et qui, malgré la douleur incommensurable qu’elles doivent supporter, continuent leur route. L’inverse est aussi vrai. C’est terrible. Mais cela sera toujours le cas.
Beaucoup d’entre nous veulent une justice « exemplaire » sans pour autant vouloir en respecter les
règles de base. Soyez honnêtes, chers lecteurs, la justice ne peut être exemplaire que si des enquêtes peuvent se mener et des procès se tenir. S’il n’y a ni enquête, ni procès, il n’y a tout simplement pas de justice.
La justice ne peut être exemplaire que si toutes les parties en cause peuvent s’exprimer et
s’écouter, y compris dans la douleur. La justice ne peut être exemplaire que si tous ses acteurs se
soumettent au respect du droit et de la procédure.


La justice ne peut être exemplaire que si elle écarte la haine : « vous jurez et promettez d'examiner
avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les
intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer
avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la
crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui
profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions »
(article 304 du code de procédure pénale : serment des jurés de la cour d’assises).


Comme je le fais tous les jours dans mon bureau mais aussi dans les palais de justice, je continuerai de défendre nos principes. Et défendre ces principes auxquels nous devons tous rester attachés ne fait pas de moi une avocate qui défend la délinquance ni la criminalité. Ou qui vient nier l’atrocité de certains crimes.
Je défends des hommes et des femmes.
Des suspects, mais aussi des victimes.
Défendre, c’est apporter de la contradiction.
Défendre, c’est apporter une nuance, une opposition, une parole différente.
Défendre, c’est parler pour l’autre, demander à ce qu’il soit entendu et surtout, à ce qu’il ne soit pas
réduit à rien, peu importe de quel côté il se trouve.


Alors PARDON DE DÉFENDRE !

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